Récréatif: une philosophie de vie
Il y a de cela quelques petites années, j’ai intégré la Team Ecailleux. Parmi les initiateurs de cette équipe de potes, il y avait le fringuant Daniel Duthon. Je le connaissais de vue.
Souvent, en fin de semaine, en me levant, je regardais mon fil d’actualité sur Facebook. Je voyais un gars sur un transat, verre de blanc à la main, cigare au bec, et une vue paradisiaque genre une piscine d’un hôtel, l’océan, un joli paysage. La même rengaine, semaine après semaine. Daniel à San Remo, Daniel à Paris, Daniel à Campione, Daniel à Las Vegas. C’est bon! On aurait dit un remake poker de Martine !
Puis ce gars qui avait l’air de se la péter avec ses voyages poker, je l’ai eu à ma table quelques fois. En creusant un peu, il est aux antipodes de tout ça. C’est simplement un gars, non pas qui se la pète, mais qui pète le feu. Il veut juste s’amuser! En fait il a tout compris à la vie. Il profite. Il a travaillé toute sa vie pour pouvoir s’offrir ce genre de liberté. Ça force le respect.
On ne va pas se mentir, en tant qu’amateur avec une bankroll proche du néant, il y a bien des fois où on se dit « mince, je me ferais bien des voyages poker comme lui parfois ». Il nous fait un peu rêver par procuration.
Obligé de perfer
Au moment où nous postons cette article, Daniel se rend à Monaco pour y disputer l’EPT National à €1’100 ainsi que le High Roller à €2’200. En quoi est-ce important de le mentionner? En fait, ce n’est pas anodin du tout.
Pour être tout à fait transparent, nous avons réalisé cette interview il y a environ un mois, mais je ne l’avais pas encore mise en ligne. Le Big Dan m’a contacté et m’a dit « Ecoute Didier, j’aimerais bien perfer à Monaco. Il faut que tu la mettes en ligne d’ici là. Je pars jeudi. Je sais que ça porte bonheur tes interviews. » (rire) Bon ok, c’est légèrement romancé, mais nous ne sommes tout de même pas très loin de la vérité.
Lorsque j’ai interviewé Jean-Marc Bellini, il s’est hissé dans la foulée en Table Finale de l’Estrellas à Barcelone à €1100 en terminant au 6e rang des 3447 entrants pour un gain stratosphérique de €125’450.
Auparavant j’avais interviewé Abou Sy et droit derrière il a ship le TPS 750 de Forges-les-Eaux et s’est rempli les poches de €15’130.
Je vous préviens, si Daniel Duthon claque une perf à Monte Carlo, je vais commencer à prendre des parts sur les gains des prochaines personnes que j’interviewerai.
Rencontre avec un as de la récréation
Salut Daniel, peux-tu présenter ?
Daniel Duthon est… qu’est-ce que je suis? Je suis un joueur de cash game qui a mal tourné. Je n’aime le terme, mais je suis un joueur récréatif. Je ne suis ni professionnel, ni un débutant. j’ai simplement la chance d’avoir du temps pour me déplacer et jouer. Souvent, “joueur récréatif” a cette connotation, dans la bouche des pros, un peu fishy. Peut-être pas un fish complet, mais un gars qui est là pour donner des jetons. Il y a les pros et les autres que sont les fishes et les joueurs récréatifs. Je n’aime pas cette segmentation, même si cela reste une réalité.
Je ne sais plus qui a dit ça, mais quelqu’un a dit “ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage”. C’est ça le poker pour moi. J’aime réserver mon avion, booker mon hôtel, les plaisirs à côté, prendre l’apéro. J’aime presque autant les préparatifs du voyage et le voyage à proprement dit qu’être sur place et jouer en réalité. Donc, oui je suis un joueur récréatif (rire), malgré que cela ne me plaise pas. J’ai l’impression que cela me catégorise dans les fishes (rire).
Le poker est un truc pour moi
Comment es-tu tombé dans le poker?
Un soir, très tard, en rentrant de soirée, j’ai allumé la télévision vers 2-3h du matin. L’écran était tout vert, il y avait un logo au milieu et j’ai vu des mecs jouer aux cartes. Je suis resté scotché pendant 3h à regarder ça. Je me suis dit “c’est un truc pour moi!”. Ils étaient en plein écran sur le tapis, avec le logo pokerstars. J’ai vu ma première partie de poker!
Le lendemain matin, j’ai ouvert mon compte sur Pokerstars. Je me suis spontanément dirigé vers le cash game. Cela me semblait plus facile, si j’ose dire, à être rentable. C’était en 2002, 2003 ou 2004. J’ai de la peine à situer dans le temps. Bref, au début des années 2000. C’était le déclic pour moi.
J’ai commencé à jouer, mais exclusivement en cash game. Je me suis un peu plus axé sur les tournois à partir de mars 2013. On me parle comme si cela fait 15 ans que je suis sur le circuit, mais ce n’est vraiment pas le cas.
Je continue à jouer régulièrement en cash game. C’est, je pense, le seul moyen sur le long terme à maintenir une bankroll qui me permette de jouer en tournoi. J’avoue avoir aucun plaisir à jouer en cash game, le concept de piquer du pognon au voisin. A contrario, le tournoi est ludique.
Les belles rencontres du poker
Le poker c’est aussi des rencontres…
Oui, c’est énormément de rencontre. Ce sont des belles amitiés, des bonnes foires, des bonnes bouffes. Des échanges. Quand on se déplace, c’est toujours agréable de voir des têtes connues et faire parfois un peu trop la fête (rire).
Parmi ces rencontres, est-ce qu’il y a des personnes qui t’ont marqué ?
Il y a évidemment mes amis Bello, Carlito et Klissos. On a fait nos débuts ensemble sur le circuit. On en a fait beaucoup ensemble. Il y avait une émulation qui était saine, les résultats étaient bons, les restos étaient bons, les foires étaient bonnes. Tout était réussi.
J’adore pouvoir me situer
Qu’est-ce qui te motive dans le poker?
Ce qui me motive, on ne va pas se mentir, c’est l’argent. Mais pas seulement. Il y a le côté sportif. Pouvoir me mesurer à des amateurs, à des pros, au niveau des résultats, des performances, avec le classement GPI ou encore Hendon Mob. C’est stimulant. Ce classement est plus important que les gains à mes yeux. J’adore pouvoir me situer.
Un tournoi de poker, c’est un tout!
Quel est ton top 3 des destinations poker?
Le soleil ! Ce qui est important, c’est le voyage, le soleil. Je dirais San Remo et Cannes pour le soleil, et Dublin pour la fête. Las Vegas c’est une overdose de tout. Je suis allé à l’Île Maurice aussi, je ne peux pas dire que c’est dans mon top, car j’y suis allé qu’une seule fois. Je suis allé à Macao, c’était génial aussi. Je veux aller faire le PCA aux Caraïbes. Le spot est important quand ce n’est pas notre travail. La destination est plus importante que le tournoi en lui-même. La notion de plaisir est omniprésente.
Un tournoi de poker, c’est un tout! Jamais je pourrais devenir professionnel. Déjà par les compétences (rire), mais par le côté discipline que cela impose. Quand c’est un travail, la pression du résultat est trop forte. Le pro ne peut pas se permettre de faire la fête tous les soirs jusqu’à 5h du matin. Moi je peux (rire). Je n’ai pas cette pression liée au résultat.
Le Suisse de service
Tu es l’un des visages connus dans la sphère du poker, un acteur important. Comment expliques-tu cette petite notoriété?
Je suis un acteur car je communique beaucoup sur le fait que je joue. Je dirais important car j’ai de la visibilité. Je suis administrateur de la page Swiss Poker Players sur Facebook, j’ai environ 5000 contacts sur mon profile. Si je suis “connu” sur la scène du poker, c’est parce que je me suis installé dans la durée. C’est dû à plein de choses. Que ce soit les coverages Pokerstars des FPS de l’époque ou j’avais droit toujours à mon petit commentaire sur le fait que j’étais “Le Suisse de service » (rire).
Après, il y avait aussi… ce patch bizarre qui était sur ma manche. Je parle du patch Ecailleux qui était en fait le logo Pokerstars détourné. Pour la faire courte, la Team Ecailleux était une team d’une vingtaine de potes du poker. On s’est regroupé pour faire une sorte d’émulation entre nous. J’étais au début l’un des seuls joueurs provenant de la région francophone de la Suisse à sortir à l’étranger. Le but était de partir en équipe, de faire la fête. Toujours la fête (rire).
Donc en résumé, on me voyait avec le patch, j’ai fait connaissance avec les couvreurs, j’avais droit à mes 15 secondes de gloire et voilà. C’es qui a fait beaucoup pour mon côté notoriété.
Tu te plais dans ce rôle d’ambassadeur du poker? Ambassadeur est-ce le terme qui te correspond?
Non, ambassadeur cela fait un peu pompeux. Je suis l’un des porte-drapeaux francophones en Suisse de par ma présence sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Tout ça, c’est parce que je suis “Le Suisse”. Si j’étais Français habitant Paris, jamais je n’aurais bénéficié de cette couverture.
Je ne suis pas un joueur de casino
Comment travailles-tu ton poker?
En regardant énormément de vidéos. Je ne suis pas très bouquin à la base, ce n’est pas assez dynamique pour moi. Je regarde pas mal de vidéos de coaching que tu trouves en masse sur internet. Je regarde aussi des reportages. Je ne joue plus en ligne. Je ne suis pas du tout assez discipliné pour jouer en ligne. Je regarde la télé, je bosse en même temps, je bois un verre. C’est impossible d’être performant dans ces conditions. Et je sais qu’en multi-tablant on augmente son espérance de gain, mais ce n’est pas pour moi. Je n’ai pas cette faculté de jouer 4-5-6 tables. Ce n’est pas EV+ pour moi.
Je ne joue pas car je ne suis pas du tout un joueur dans l’âme. Je ne suis pas un joueur de casino. Je ne joue pas à la roulette ou au black-jack. Je ne joue pas aux machines à sous. J’ai travaillé au début de ma carrière à la conception des générateurs aléatoires destinés aux machines à sous. Je sais ô trop combien que sur le long terme, mieux vaut ne pas s’en approcher si tu recherches une espérance de gain plus qu’un divertissement.
Est-ce que tu ressens encore ce stress lorsque tu es à all-in à la bulle d’un tournoi?
Oui! Il me faut souvent une heure pour me mettre en condition, être posé à la table. Il y a ce côté émotionnel du début de tournoi. Comme je suis souvent short à la bulle, je ne ressens pas trop ce stress. Après, j’ai un jeu certainement trop conservateur et je suis rarement en situation à jouer un pot énorme sur un tournoi d’envergure. J’ai un jeu qui ne permet pas de faire des grands swings.
Le poker reflète quand même pas mal ta nature. C’est compliqué de jouer contre nature.
Tu aimerais faire évoluer ton jeu dans ce sens?
J’essaie, mais j’ai de la difficulté à changer ce que je suis. Le poker reflète quand même pas mal ta nature. C’est compliqué de jouer contre nature. Mon seul objectif que j’ai en début d’année, c’est de finir au seuil de rentabilité au 31 décembre après déduction de mes frais de trajet, hôtel et buy-in.
Cela fait 4 ans que je bouge pas mal dans le circuit, à vraiment me déplacer et à faire beaucoup de tournois par année. Cela fait 4 ans que je suis en positif… grâce au cash game qui bouche les trous. Quand j’arrive à zéro, je ne suis pas… à zéro. J’ai financé mes voyages, mes buy-in, mes nuits d’hôtel, je me suis bien marré et c’est entièrement financé par mes revenus provenant du poker.
Est-ce un manque d’ambition? Je n’ai pas besoin du poker pour vivre. Je ne veux juste pas que le poker me coûte de l’argent. Oui, ce n’est pas ambitieux, mais c’est bien en accord avec ma vision… du joueur récréatif que je suis (rire).
On y revient, je suis complètement récréatif, mais ça m’embête quand même cette appellation, cette connotation qui peut être dédaigneuse dans la bouche de certain. Je suis récréatif dans l’âme. J’aime bien aller faire une bonne bouffe après, boire un verre avec les amis. C’est la récréation.
Hormis moi, quel est le joueur qui t’a le plus impressionné à table?
J’ai été impressionné par le jeu de joueurs inconnus, des joueurs anonymes, que j’ai considéré comme d’excellents joueurs, mais je n’ai pas de noms. Des gars hyper aggros avec une super bonne lecture, une super bonne technique. J’ai toujours à la table 2-3 joueurs qui sont bien meilleurs que moi. C’est compliqué à répondre.
Il y a une constante à joueurdepoker.fr. Tu parlais des Ecailleux un peu plus tôt dans l’interview. Chaque fois que j’ai interviewé un Ecailleux, il a perfé dans les jours qui ont suivi. Ressens-tu cette pression, toi qui pars dans quelques minutes en direction de Monaco?
Non, absolument aucune pression ! Interview avec toi = perf!!! (rire)
Si tu devais résumer le poker en quelques mots… le poker c’est quoi?
Le poker est un loisir rémunérateur.
Si tu devais lister les 3 personnages les plus influents du poker en Francophonie, qui seraient-ils?
Je citerais Apo Chantzis de Texapoker, Bernard De Breyne de Namur et Hermance Blum (WPT).
Quel est ton objectif en 2018?
Le même que chaque année: boucler mon année financière à l’équilibre, déplacements, hôtels et buy-in inclus.
Que peut-on te souhaiter?
On peut me souhaiter de continuer comme ça. J’ai énormément de plaisir à côtoyer tous ces joueurs pros ou amateurs.
Le saviez-vous?
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🍀 On vous annonce le good run de Daniel Duthon à Monaco
❓ Pourquoi? On vous laisse le découvrir dans l’interview
♠️ Rencontre avec un as de la récréationhttps://t.co/vfxWnhILu1— Joueur de poker (@joueurdepoker1) 26 avril 2018